Marketing

La revente en ligne et la professionnalisation des particuliers

Revendeuse vêtement seconde main

La revente sur les plateformes se démocratise, image Vlada Karpovich/Pexels

Les plateformes de revente connaissent un succès grandissant. Que ce soit pour l’outillage, les véhicules, les ouvrages ou les vêtements, le nombre d’adeptes se comptent en millions. Dominique Roux-Bauhain, professeure à l’Université de Reims Champagne-Ardenne, a mené une enquête de plusieurs années sur la pratique de la revente de vêtements en physique et sur les plateformes. Nous avons longuement discuté sur ce dernier sujet. Résultat de nos échanges.

Les plateformes de revente suscitent un engouement des consommateurs. Selon la Fevad, en 2023, la moitié des acheteurs sur Internet ont acquis un produit reconditionné ou de seconde main. La proportion est de 63 % chez les 15-25 ans.

Ces résultats corroborent les analyses publiées par Statistas qui soulignent aussi le succès du marché de seconde main. Cette étude montre que c’est Vinted, suivie par Blackmarket et LeBoncoin, qui est l’appli la plus utilisée en 2023.

En effet, ce marché est tiré par les plateformes de revente de vêtements. D’après l’étude du cabinet Enov, l’achat de vêtements tient le haut du pavé, avec 1 milliard d’euros et 48 % des ventes, suivi des produits culturels (45 %) et des meubles/déco (34 %). Des chiffres proches de ceux de la Fevad.

D’ailleurs, c’est un marché d’avenir. A en croire le site de revente Threup, il pourrait atteindre 350 milliards de dollars en 2027.

Il n’est pas étonnant alors que se multiplient les plateformes de vente de seconde main de vêtements. Vinted, Vestiaire Collective, VideDressing, OnceAgain comptent parmi les plus connues. Evidemment, ces produits se vendent aussi sur les places de marché généralistes comme eBay ou Amazon.

Ce commerce attire beaucoup de revendeurs et surtout de revendeuses, dont la pratique reste majoritairement occasionnelle. Mais une frange d’entre elles se professionnalise. Non seulement, ces dernières passent du temps à trouver des pièces intéressantes, à répondre à leurs clientes et à gérer leur boutique digitale. Mais elles développent aussi des compétences d’entreprise.

  • Marketing : politique des prix, saisonnalité, opérations de promotion ;
  • Communication : annonce de ventes, d’arrivée de nouvelles pièces, sur la plateforme et les réseaux sociaux ;
  • Achat : trouver la pièce avec la marge la plus élevée à la revente, au bon moment, et la revendre rapidement ;
  • Fidélisation : cadeau, mot personnalisé, rabais ;
  • Finance/comptabilité : recherche de marges maximum, tenue des comptes ;
  • Système d’information : gestion technique de la plateforme et de ses outils.

Ces compétences donnent alors à cette activité une dimension entrepreneuriale doublée d’une dimension économique, puisque la recherche du gain financier est primordiale.

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Les vêtements de seconde main font le succès des plateformes de revente, illustration : freestocks/Unsplash

Les plateformes les incitent d’ailleurs à se professionnaliser. La plupart facilitent la création d’un compte et les accompagnent dans leurs premiers pas en vente, gestion, logistique… Leur centre d’aide leur prodigue des conseils sur les prises de photos de qualité, les fiches produits, les meilleures pratiques, etc.

Chacune met également à la disposition des revendeuses des aides plus élaborées, parfois payantes, afin de vendre plus et plus vite. Par exemple, Vestiaire Collective a imaginé un service de conciergerie. Des spécialistes se déplacent chez la revendeuse. Ils y évaluent le prix des vêtements, prennent des photographies destinées au site et donnent des conseils de gestion.

Vinted propose des fonctionnalités payantes. Les e-commerçantes mettent ainsi en avant, de façon personnalisée, leurs vêtements, les placent en haut du fil d’actualité ou lancent des promotions.

Leboncoin a mis en place des Options : des logos Urgent et A la une placés sur les photos des produits. Quant à l’option Tête de liste, elle fait remonter l’annonce en tête des résultats.

La Boutique Facebook se caractérise par son aspect pédagogique. La revendeuse bénéficie de formations, d’explications pas à pas de la création de sa boutique. Et elle peut acheter des services de publicité.

Par ailleurs, les plateformes de création de boutiques en ligne participent aussi à ce marketing de contenu en fournissant beaucoup d’informations. Elles y ont intérêt, car elles vendent des sites clés en main adaptés à ces plateformes de revente, dont elles sont partenaires. Il en est ainsi de Wizishop sur Cdiscount et Amazon, ou de Shopify sur Facebook.

Enfin, des forums, des blogueurs, des influenceurs distillent leurs conseils que les e-commerçantes trouvent facilement sur le Net.

En fait, tout l’écosystème des plateformes de revente de vêtements invite les passionnées de mode ou les chineuses de bonnes affaires à se lancer dans ce commerce.

Les centres d’aide, les outils technologiques, les conseils tiennent un rôle de rassurance dans les premiers temps de l’activité. Ils sont par la suite des services à la performance de l’e-boutique.

Les comportements de ces revendeuses peuvent s’analyser à la lumière du concept de Michel Foucault de l’individu comme « entrepreneur de lui-même », dépeint dans Naissance de la biopolitique. Le philosophe y décrit le libéralisme, pour lequel l’« individu-entrepreneur » conduirait sa vie comme il dirigerait une entreprise.

Selon lui, l’individu développe un esprit d’entreprise et devient son propre capital, sa propre source de revenus, à la différence du salariat. Afin de faire fructifier ce capital, il se forme, s’adapte aux évolutions des technologies et aux tendances de consommation.

En effet, les pratiques des revendeuses que nous avons décrites, répondent au portrait de cet individu néolibéral. On pourrait ajouter qu’entre elles, la concurrence existe, ainsi qu’entre acheteuses à la recherche des pièces les plus intéressantes.

Les systèmes de notation et d’avis encouragent par ailleurs à rester compétitives et performantes : il faut obtenir la meilleure note pour être repérée et revendre ses objets. Et du reste, les revendeuses doivent suivre les prescriptions des plateformes afin d’éviter leurs sanctions.

Que d’efforts et de contraintes nécessaires pour tirer un gain de la revente de vêtements de seconde main ! Nous sommes bien loin de l’activité ludique, sympathique et occasionnelle, présentée habituellement.

Et vous, pratiquez-vous la revente de seconde main ?