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Quels sont les pouvoirs des interfaces utilisateurs ?

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Les interfaces ne sont pas toujours transparentes, photo de Yoann Boyer, sur Unspalsh

Les interfaces utilisateurs sont devenues banales aujourd’hui, car elles sont présentes dans de nombreux objets et outils quotidiens. Jean-François David, stratège, a travaillé pendant plus de trente ans chez IBM. Il s’est intéressé aux interfaces utilisateurs. Dans un article de la revue de Transversus, il a analysé le rôle qu’elles jouaient dans nos relations . Il revient sur ce sujet en insistant sur leurs pouvoirs. Résultats de nos échanges.

Les interfaces utilisateurs nous imposent des protocoles

Les appareils technologiques sont indissociables de leurs interfaces. Elles nous en simplifient la compréhension, la manipulation et l’usage. Un simple geste du doigt nous donne accès à notre smartphone et à toutes ses applications.

L’utilisation de ces interfaces a fait apparaître de nouveaux gestes : passer une carte sur une borne, commander un plat oralement à un assistant personnel, tapoter sur un écran pour retirer un billet de banque, de train ou de concert.

Tout le monde exécute désormais ces gestes. Mais puis-je recourir à un autre geste ? Pour retirer un billet de banque à un distributeur, est-ce que je peux passer par un autre protocole que celui imposé par la banque ? Non. Une interface nous impose des gestes, des mouvements, des règles et des protocoles. Elles sont contraignantes.

Par ailleurs, ces gestes quotidiens, répétés des milliers de fois, dans de multiples contextes, deviennent des habitudes. Et elles nous structurent. Tout comme nous structurent les modes de pensée qui ont élaboré les appareils technologiques et leurs interfaces.

Ces modes de pensée suivent des logiques propres à l’informatique, la robotique, l’algorithmique. Ils relèvent de raisonnements analytiques et logico-mathématiques. N’existe-t-il pas un risque qu’ils s’imposent ainsi au détriment d’autres formes de raisonnement ?

Indubitablement, ces interfaces sont à l’origine de changements en cours. Le passage de l’écriture manuscrite à l’écriture sur clavier ou sur écran en est un exemple. Les chercheurs ont montré que ce passage impliquait des modifications de :

Appuyer sur un bouton n’est jamais neutre, pas plus que faire un geste vers une personne.

Jean-François David

Une aide qui irait jusqu’au Zéro Décision ?

Indispensables, les interfaces utilisateurs nous connectent à des sites, des messageries instantanées, des réseaux sociaux… Elles nous aident à voir, toucher, entendre, parler… Elles nous mettent en relation avec notre monde complexe. Nous y créons de nombreuses interactions, et pouvons satisfaire des besoins élémentaires : appartenir à un groupe, répondre aux urgences, exécuter de multiples actions, valoriser son image, etc.

Cependant, cette aide n’est possible que par la récolte et le traitement en masse de nos données personnelles. Localisations géographiques, préférences, agendas, photos, messages envoyés et reçus, etc. Le volume est si important que les fabricants de ces interfaces en savent beaucoup sur nous, souvent plus que nos proches. Cette connaissance va s’accroître avec l’Internet des Objets qui s’immisce dans nos foyers et notre intimité.

Des intelligences artificielles et des algorithmes analysent ces données. Ils anticipent nos comportements et nos choix. Apparaissent alors sur ces interfaces, des suggestions, des propositions de services et de fonctionnalités. Ils s’installent d’eux-mêmes, et nous débarrassent ainsi d’une tâche technique compliquée. Quel gain de temps ! Quel confort ! Indéniablement.

Et on peut fort bien imaginer que robots et algorithmes exécutent une partie de nos tâches quotidiennes. Mais jusqu’à quel point ces technologies pourraient-elles décider pour nous ? Allons-nous vers le Zéro Décision ?

interface technologique et pouvoir-UI-UX

Steve Jobs, en 2007, lors de la célèbre conférence sur l’iPhone. Les innovations de Steve Jobs concernent souvent les interfaces utilisateurs.

Ces interfaces utilisateurs, si discrètes… si opaques…

Et parfois, les technologies derrière ces interfaces exécutent ces changements sans nous le dire, sans nous en avertir, sans nous expliquer clairement leurs tenants et aboutissants. Et il faut le reconnaître, la plupart des sociétés créatrices de ces interfaces se gardent bien de le faire. Obtenir une copie de nos données personnelles auprès des GAFAM est un parcours du combattant. Comprendre leurs licences d’utilisation se révèle difficile, tant leur langage est abscons, tant leur texte est long. Cette opacité des interfaces est critiquée depuis longtemps.

Or, par ailleurs, il est de la nature des interfaces de se faire oublier. Les UX/UI designers les conçoivent conviviales, rapides, intuitives. C’est leur travail et leur talent. L’information transmise doit être nécessaire et minimum. Car ils visent une utilisation simple et rassurante pour ne pas troubler les utilisateurs. Mais oubliant ces interfaces n’y a-t-il pas le risque d’oublier leurs fabricants et leurs pratiques critiquables ?

Quels pouvoirs et quelle liberté pour le citoyen ?

En effet, derrière le beau design des interfaces, se cachent de gros enjeux. Etats, entreprises, individus défendent leurs intérêts politiques et économiques, par exemple :

  • Sécurité : régulation, surveillance, cybersécurité ;
  • Législation sur les données : protection des données personnelles (RGPD) ou exploitation par un Etat (Cloud Act) ;
  • Libertés individuelles : droit d’une information claire et compréhensible, droit de ne pas être suivi à des fins commerciales ou politiques, droit à l’anonymisation, espionnage et surveillance ;
  • Economie : domination d’un marché économique, possibilité de revenues, construction d’écosystèmes plus ou moins dépendants ;
  • Technologie : imposition de standards, innovations, R&D.

Mais que peut faire l’usager, le citoyen, l’individu ? Etre conscient des enjeux et des pouvoirs que recèlent les interfaces. Etre conscient des interactions qu’elles créent avec des appareils, des sites, des réseaux qui suivent des logiques robotiques, algorithmiques, logicielles. Savoir les utiliser avec habileté, pour s’en préserver, s’en détacher, quand il le juge nécessaire.

Et vous, quelle est votre relation avec les interfaces utilisateurs ?